Il était assis en face de moi. Au restaurant. Il riait. Quatre œufs à la coque entre nous deux, et il me regardait droit dans les yeux en fronçant du nez. Et il n’arrêtait pas de bouger.
D’abord, j’ai cru qu’il ne servait à rien. Qu’il serait un nouveau plan loose. (Oui, car je suis devenue une pro du plan loose.) Je suis partie dîner avec lui avec mon imperméable anti-loose sur moi. Je regardais les stations défiler dans le train. Et j’imaginais un diner ennuyeux. Chacun faisant son auto promo. Chacun regardant en cachette sa montre. Chacun se concentrant sur sa bavette pour la finir au plus vite. Et trouvant soudain un vif intérêt dans (au choix) la météo, les frites, la baisse du pouvoir d’achat. Et puis, après ce diner miteux, il me proposerait d’aller chez lui. Etant une faible femme (vraiment ?), et souhaitant voir jusqu’où la loose pourrait aller, je dirai oui. On montera chez lui. Un appartement triste, avec un paquet de céréales oublié sur une table à tout jamais (ou presque), et des serviettes sur les fenêtres pour cacher la lumière du matin. Il aurait posé ses mains pâteuses sur moi. Aurait enfourné sa langue baveuse dans ma bouche. Et on aurait couché ensemble. Ou pas. Mais la nuit aurait été laborieuse.
J’en étais à imaginer le petit matin à fuir le regard l’un de l’autre et son haleine fétide, et surtout à me dire que tout çà ne devait pas m’atteindre. Que le bonheur est ailleurs. (Où d’ailleurs ? en tous cas, pas là). Et qu’il n’y a rien de grave. Que je survivrai comme d’habitude et que j’oublierai tout ça bien vite.
Et j’arrive à la gare de Versailles. Il fait froid. Il est en retard. Un sms « Une minute de retard pour moi. Ne partez pas, je vous prie. » Oui, car on se vouvoie. On se vouvoie toujours d’ailleurs. Je trouve çà délicieusement old school et je préfère mille fois lui dire « je vous emmerde » que « je t’emmerde ». J’attends, j’ai froid, je sautille sur mes bottines à talons hauts (low boots pour être précise et à la mode, ce qui n’est pas négligeable. Ou pas ?).
Et il arrive. Je m’enfourne dans sa voiture chaude. Je n’ose pas le regarder. Rien ne sert d’être déçue trop vite. S’il a une sale tête, j’aurais tout le diner pour le découvrir.
On en revient justement au diner, pendant lequel j’étais en train de le regarder s’agiter sur sa chaise, me fixer bigrement profondément et froncer le nez. Eh bien, bizarrement, il était sacrément beau. Pas la beauté fatale. Mais des yeux bleus scandaleux et des cheveux blonds pour aller avec. Un ensemble harmonieux. Et musclé. Le tout empaqueté dans une jolie chemise.
Bon, j’aurais encore pu m’en tenir à mon plan loose si en plus il n’avait pas eu un peu plus qu’un semblant d’intelligence. Ou pas d’humour. Ou une capacité d’écoute proche de zéro. Mais non, la conversation était (oserai-je le dire ?) stimulante. Entre humour, séduction et conversations intéressantes, j’étais un peu déboussolée. Ça ne rentrait plus dans mon plan. Et j’avais pas prévu de plan B. Qui pourrait imaginer que ça se passerait bien ?
Alors on a continué et la soirée a filé à une vitesse incroyable. Alors il m’a ramenée chez lui pour boire un dernier verre. Il m’a montré son chez lui. Sans paquet de céréales en détresse sur une table en plastique. Non, mais des tables en béton, qu’il fait lui-même. Et on continue à parler. Cet idiot joue à me tourner autour. Il s’assoit à coté de moi, met sa main sur mon genou. Une main ferme et chaude, d’ailleurs. Puis il se lève, va à son bureau chercher quelque chose, revient, s’assoit plus loin. Je le déteste.
« Je préfère quand c’est les filles qui craquent en premier. » Moi ? Craquer ? Mais c’est pas mon genre.
Il sait que j’ai envie de l’embrasser et je sais que lui aussi a envie de m’embrasser. Mais merde, on avait prévu de tout rater. Je me dis que rien n’est perdu, tout peut encore arriver.
J’aime son jeu mais j’aime encore plus quand il m’embrasse. Qu’il me monte dans sa chambre en forme de mezzanine suspendue au milieu de nulle part. Quand il me parle des pièces noires d’Anouilh. Quand il me demande « ça te dérange pas de coucher avec quelqu’un qui n’a pas d’idéologie politique sur le couple ? » (Oui, il est au courant du marxiste léniniste et de sa conception « marxiste » du couple).
Et quand il m’embrasse, je fonds. Entre deux baisers : « putain, merde, mais tu me plais. – Merde, mais toi aussi tu me plais. » Etonnés tous les deux, et vulgaires tous les deux, on s’embrasse le cerveau cogné par cette idée incroyable : on se plait. Vraiment.
Reste à savoir comment il a fait pour que je le déteste dès le matin en me réveillant le lendemain. Puis les 3 jours qui ont suivis. Puis pour que j’aie de nouveau une envie de le voir qui me brule la poitrine. Mais tout ceci n’est pas du teasing.
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Quel beau texte !
Une belle surprise pour toi, on dirait :) Tu nous raconteras la suite ? Bises
Anonyme a dit…
7 octobre 2008 à 11:22